
Dans le système ancien polynésien, le mot tāura désigne un ancêtre vénéré qui protège sa famille ou sa lignée. Ce concept apparaît dans toute la Polynésie française sous différentes formes comme tuputupua, tupapa’u ou vārua ‘ino. Selon le contexte, un tāura peut être vu comme un protecteur, un revenant ou même un esprit maléfique. Mais de nos jours, la notion de tāura est surtout liée à des ancêtres qui se manifestent à travers certains animaux.
Parmi ces animaux, on trouve les animaux marins comme le requin (mao), la baleine (tohorā), la murène (puhi miti), la pieuvre (fe’e), la raie (fai manu), ainsi que le poisson (i’a), la tortue (honu) et même les oursins (vana). Des animaux terrestres comme le chien (‘uri), le cochon (pua’a) ou le rat (‘iore) sont aussi considérés comme des tāura, ainsi que des insectes tels que le papillon (pepehau) ou le grillon (popoti). L’animal est unique, il a son propre nom et partage ses attributs avec le clan. Il est respecté, protégé par un tabou alimentaire et reçoit des offrandes de nourriture par l’homme. Il ne peut ni être tué ni blessé.
Outre des animaux, les tāura peuvent également se manifester à travers des plantes ou des minéraux. Ils sont associés à un clan (sous la forme d’un symbole totem) et jouent souvent des rôles de protecteurs de la lignée, d’annonceurs d’événements et d’attaquants dirigés pour assaillir leurs ennemis.
Ce lien entre un ancêtre et un animal émane probablement de plusieurs récits mythiques où les humains et les animaux pouvaient se métamorphoser à volonté et même engendrer des descendants. On peut donner l’exemple de cette histoire fameuse d’une anguille présentant des caractéristiques humaines, qui séduisait des femmes de haut rang en se métamorphosant d’anguille en homme.
Un animal et un symbole
Certains tāura ont une signification symbolique. Parmi les animaux marins considérés comme tāura, la tortue (honu) est l’un des plus prestigieux et était souvent associé aux personnes d’ascendance noble. C’est l’espèce marine la plus présente dans les pétroglyphes gravés sur les marae des îles de la Société. Ainsi, des pétroglyphes de tortue apparaissent au niveau du côté face de la cour du montant central et le long de la façade du ‘ahu sur le marae Nu’urua, à Varari (Moorea). La baleine (tohorā), quant à elle, est considérée comme un symbole de sagesse, de puissance et de protection. Elle est associée aux familles les plus élevées des anciens clans et tribus. Dans les légendes, les baleines sont parfois glorifiées comme des ancêtres bienveillants, veillant sur les navigateurs et les communautés côtières. Le requin ( ma’o) est, pour sa part, souvent associé à la force, au leadership et à la protection. Dans certaines légendes, les ancêtres polynésiens étaient supposés descendre des grands requins, symbolisant ainsi un lien spirituel avec ces créatures impressionnantes.
Et enfin, parmi les oiseaux, la frégate (te ‘otaha) est associée au monde surnaturel, créant ainsi un lien et une communication entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Suspendue entre ciel et terre, entre monde divin et monde humain, elle incarne aussi le passage du savoir entre les générations. Sa relation au surnaturel lui attribue un mana divin, ce qui lui permet de transmettre des messages qui, pour nous les humains, restent encore très énigmatiques.
Des liens rituels entre la famille et son tāura
La communication entre la famille et son tāura se faisait, dans les temps anciens, par le biais de cérémonies menées par les tahu’a. La plupart de ces cérémonies étaient traditionnellement tenues sur les marae par les tahu’a tahutahu.
La manifestation du tāura lors de ces cérémonies était perceptible par les sens humains. L’animal totem pouvait ainsi se manifester par un cri (grillon, oiseau, lézard, chien), une odeur (fleur, odeur de mort), une sensation physique (froid, frisson, souffle) ou encore à travers un rêve ou une vision. Le tāura s’associe donc au tapa’o, c’est-à-dire un signe ou un présage, manifestant l’une des fonctions du tāura : annoncer un événement.
Les tāura aujourd’hui
De nos jours, malgré la christianisation et l’influence de la modernité, les croyances dans le lien avec les ancêtres via les tāura subsistent dans certaines familles polynésiennes. Par exemple, une famille peut se dire descendante d’un requin ou d’une tortue. L’animal, même si son nom est parfois oublié, reste un symbole fort et affectif qui peut se retrouver dans des choix de tatouages, par exemple, chez les dernières générations.