Dans les temps anciens, la notion en reo tahiti de “tahu’a”, en français “spécialiste”, était plus spécifique que maintenant. Il existait ainsi huit catégories de “tahu’a” selon Teuira Henry : les Tahu’a pure, les prêtres de la religion polythéiste de l’époque ; le Tahua-rahi, le grand prêtre ; le Tahu’a-parau-tumu-fenua qui était en quelque sorte le gardien du savoir et de la culture polynésienne (en récitant à l’oral ses diverses connaissances). Il existait aussi le Tahu’a-ra’au, responsable de la médecine basée sur des remèdes élaborés à partir d’herbes médicinales ; le Tahu’a-marae, qui dirigeait la construction d’un marae ; le Tahu’a-fare, chargé d’élaborer le plan d’une maison et de la construire ; le Tahu’a-va’a, le constructeur de pirogues ; et, enfin, le Tahu’a-tautai, qui s’occupait d’étudier les saisons de pêche.
Dans la société polynésienne d’aujourd’hui, la notion de “tahu’a” englobe de nombreuses personnes spécialisées initiées (fare vana’a) dans différents domaines, par exemple la médecine, les rituels pratiqués sur un marae. De manière générale, les personnes possédant des problèmes d’ordre spirituel consultent et demandent de l’aide à un tahu’a spécialisé dans le domaine concerné, qui accepte en échange une rémunération non monétaire. Celle-ci peut se traduire par un don alimentaire ou des services. La rémunération non monétaire est une règle tacite chez les tahu’a car cela pourrait se référer à un “tapu” (interdit). En effet, le tahu’a a interdiction de demander une rémunération monétaire ou de l’alcool lorsqu’il offre son aide à une personne.
Pour définir ce qu’est réellement un tahu’a aujourd’hui, il s’agit d’une personne, un descendant ou une descendante ayant hérité dès la naissance d’un “don” transmis par ses tupuna (ancêtre), qui lui octroie des capacités surnaturelles dans un domaine particulier. Les tupuna choisissent parmi leurs descendants une personne qui leur convient et lui offrent un don que cette personne devra développer et assumer jusqu’à sa mort. Ces dons sont une responsabilité et aussi une fierté pour le descendant concerné, qui aura l’obligation de vivre avec son don. Les dons que peuvent posséder les descendants d’un tahu’a sont, par exemple, le don du massage, celui de voir les morts ou encore celui d’être un réceptacle, c’est-à-dire qu’un tupuna peut posséder son corps en vue d’accomplir une tâche.
Avant de devenir un tahu’a, les descendants ayant hérité d’un don par les tupuna sentiront des présences dès leur enfance jusqu’à leurs dix ans, c’est-à-dire qu’ils ressentiront ou verront des choses invisibles pour des personnes dites “normales”. Le descendant devra alors choisir s’il souhaite emprunter la voie des tahu’a. S’il accepte d’emprunter cette voie, il deviendra un “apprenti” tahu’a et un ou plusieurs membres de sa famille, possédant aussi un don, reconnaîtront celui que possède l’enfant avant de lui transmettre toutes les connaissances dont il aura besoin.
La transmission orale de ces savoirs se fait uniquement par un membre de la famille possédant aussi un don ou bien étant un tahu’a lui-même. Cette transmission familiale est singulière pour chaque famille car l’interprétation d’un signe est différente d’une famille à une autre. Par exemple, la vue d’un cent-pieds au sein du foyer peut constituer un mauvais présage pour une famille alors que pour une autre famille, ce sera l’inverse. Les savoirs du tahu’a de la famille transmis à l’apprenti sont vastes et variés, mais restreints à la seule famille concernée. Ces connaissances concernent en outre généralement des thèmes tels que la généalogie des tupuna (l’identité des ancêtres), leurs racines, leurs dons et les activités qu’ils entreprenaient de leur vivant. Autre thème, les signes, qui sont des manifestations physiques souvent banales pour la majorité des gens, mais revêtant une signification particulière pour les tahu’a, qui les interprètent de manière positive ou négative. À l’âge de trente ans et après avoir assimilé toutes les connaissances transmises, le descendant deviendra un tahu’a grâce à la transmission familiale. L’importance de cette transmission est primordiale pour la perpétuation des tahu’a au sein de la société polynésienne. Étant réalisée oralement, il sera difficile de former de nouveaux tahu’a si une génération familiale ne remplit pas son rôle.