Le b.a.-ba du mana

Le mana, l’énergie de guérison made in Tahiti, est au cœur de l’identité polynésienne. Omniprésente tout autant que centrale, elle est aussi l’une des notions les plus sacrées et complexes de cette identité. Car si elle ramène constamment à la culture, le mot continue à faire peur et à poser de nombreuses questions interrogeant le rapport à l’autorité, les modes de transmission, les critères qui font de certains êtres plus que d’autres les détenteurs de la puissance qu’elle recèle. Les réponses apportées ne se recoupent pas toujours ou demeurent incomplètes, certains continuant à penser qu’elles ne peuvent pas être exposées. Parmi d’autres, Céline Hervé-Bazin, docteure en sciences de l’information et de la communication, chercheuse et auteur de « L’oracle du mana : les secrets de la sagesse polynésienne », a mené il y a quelques années avec ses étudiants de l’ISEPP, une très sérieuse enquête permettant d’avoir une approche assez exhaustive de la question, pour qui voudrait la creuser…

 

Des travaux menés par la chercheuse, il ressortait d’abord que le mana était une connexion à l’autre. Une humilité. Un lien exigeant qui demande à savoir que tu es initialement connecté à toi-même et ensuite à l’autre d’une manière profondément sacrée. C’est vivre en interaction. Les tupuna, les ancêtres, le vivaient en veillant à se connecter au divin en eux pour comprendre ce qui était bon pour eux-mêmes avant de se relier à la société de façon à pouvoir agir pour le bien du collectif. Ajuster l’intérieur avec l’extérieur permettait de se situer dans la justesse. Tout impactant continuellement tout puisque tout est par définition relié au sein de la création. Cette conscience du Tout à laquelle devait être adossé tout ce que l’on était de même que tout ce que l’on faisait ensemble constituait un équilibre précieux, au respect duquel il convenait de veiller constamment et scrupuleusement pour vivre en harmonie, en soi et autour de soi.

 

Tout commence au cœur de l’être

 

Le point de départ du mana consiste donc à se poser dans sa conscience. Mais ce positionnement n’était vécu que comme un préalable indispensable à un apprentissage dispensé par étapes, une forme d’initiation similaire à de nombreux autres types d’enseignement, afin de permettre à l’individu d’être en capacité de se charger de ce mana, de cette énergie, à travers les connaissances transmises et les rencontres. Tout ceci se déroulait en prenant grand soin de respecter une temporalité précise, pas trop rapide, afin que les êtres puissent, en même temps qu’ils se chargeaient de cette énergie, recevoir aussi la protection de ceux qui leur confiaient cette parole. Car la puissance qui en découlait était tout sauf à prendre à la légère puisque ceux qui en étaient détenteurs devenaient ainsi, à leur échelle, les garants de l’harmonie du monde, à la condition d’en faire bon usage.

 

Une notion très vaste aux champs d’action multiples

 

Cette puissance, génératrice d’effets « positifs » ou « négatifs » selon la conscience et les intentions de celui qui avait acquis la capacité de la déployer, englobe forcément une multitude d’aspects de la vie et du vivant, puisque initialement adossée à la conscience du Tout et de l’Unité primordiale. Les travaux de Céline Hervé-Bazin et de ses étudiants ont notamment permis de distinguer et surtout de rappeler les cinq piliers essentiels sur lesquels reposait la notion de mana. Le premier était la connexion à la nature, à la terre, au Fenua, qu’il revenait aux humains de protéger, de préserver, de célébrer et même de chérir. Le deuxième était l’alimentation, le fait de bien se nourrir et de respecter les aliments, car justement venus de cette terre pour alimenter nos corps avant de retourner à la terre. L’alimentation comportait aussi une importante composante spirituelle puisque les anciens savaient se nourrir, à travers elle, de vibrations, d’énergies, de fréquences manifestées à travers les couleurs, les textures, les saveurs. Troisième pilier, le corps humain lui-même, conçu pour bouger et libérer ainsi son propre mana et sa force par le biais du mouvement. De nombreux gestes étaient ainsi ritualisés ou réalisés spécifiquement dans le cadre de certaines cérémonies afin de mieux mobiliser ce pouvoir symbolique ; ce qui requérait une préparation très importante. Le massage traditionnel ou taurumi participait aussi de la libération de l’énergie. Quatrième pilier, la connaissance, celle qui nourrissait l’esprit et passait par la maîtrise de la langue. Il s’agissait là encore d’intégrer des vibrations, celles des mots, de la parole… dont toutes les traditions du monde évoquent le pouvoir créateur, faut-il le rappeler. En parlant et en apprenant, on accumulait donc du mana. Cinquième et dernier pilier : le tahu’a, l’expert, incarnant la connexion à l’ancien, au passé, à la mémoire pour mieux se souvenir de et intégrer qui l’on est. L’oralité, considérée comme un effort, participait de cette volonté de transmission qui soutient également le corps puisque celui-ci se nourrit énormément des mémoires, qui ne devaient pas être conservées à l’extérieur de lui.

 

Les anciens ont toujours montré la voie


Si le mana est aussi une source d’interdits et de tabu, s’il est parfois craint, parfois rejeté car associé à d’anciennes croyances superstitieuses, il demeure, dans ses fondements, la pierre angulaire de l’identité polynésienne et un cap clair pour mener les hommes vers leur meilleur avenir possible. Mais pour profiter « au mieux » des ses aspects bénéfiques tout en se préservant des « moins bons », la chercheuse rappelait également les recommandations de boire beaucoup d’eau afin d’enlever continuellement les énergies néfastes, usagées et malveillantes ; de se connecter le plus souvent possible à la nature afin de nourrir l’ancrage à la Terre ; et de parler car la parole a toujours contribué à séparer la lumière de l’ombre, à éloigner tout ce dont on aurait besoin de se protéger, les énergies ténébreuses et néfastes prospérant a contrario dans le silence… Des observances anciennes qui ont encore tout leur sens.

Image de Virginie Gillet

Virginie Gillet

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