Heiva I Tahiti : une longue histoire…

Texte : Virginie Gillet

Illustrations : TFTN

 

Alors que le Heiva i Tahiti et sa cohorte de festivités battent leur plein jusqu’au 19 juillet pour le concours de chants et de danses à To’atā et jusqu’au 2 août pour les dernières manifestations annexes, c’est à un véritable voyage dans le temps que nous vous invitons dans ce numéro de ‘Āi’a Mag, afin de renouer avec l’essence de cet événement au cœur de l’identité polynésienne, qui n’a eu de cesse en prime de « faire des petits » depuis son origine, le dernier en date étant le Heiva Taure’a, le Heiva des collèges, dont la 8ᵉ édition a enflammé les foules en mars dernier.

Pour mieux comprendre l’âme de cette fête, l’une des plus anciennes de la planète, plus vieille même que le mythique Carnaval de Rio qui serait né en 1889, il faut remonter très loin dans le temps, jusqu’à un épisode de plutôt sinistre mémoire qui aurait pu en sonner le glas. Tout commence en effet en 1819 lorsque le fameux « code Pomare » interdit purement et simplement tout « Heiva » et toutes les activités relatives à la danse, soupçonnées d’encourager des mœurs douteuses et d’avoir une mauvaise influence sur les nouvelles ouailles des pasteurs anglicans notamment. Ces restrictions très dures, essentiellement inspirées par les Britanniques, seront encore renforcées par la reine Pomare en 1842. Une rigueur et une façon de voir que ne partagent pas les Français, plus tolérants, qui estiment dès 1845 que la souveraine tahitienne est allée un peu trop loin en la matière : ils choisissent d’autoriser à nouveau à partir de cette date les danses locales, avec « modération et décence »…

 

Naissance d’une institution

 

Une valse se jouant entre excès et interdits, tapu et autorisations s’engage alors sur plusieurs décennies, durant lesquelles le ‘ori ou plutôt le hura pour les puristes, cette véritable mise en mouvement de l’âme polynésienne, se verra encore très contrôlé. La coercition plus ou moins forte dont il fera l’objet sera très effective jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle. Mais les choses prendront une tournure déterminante en 1881 lorsque les autorités françaises décideront d’instaurer des journées de réjouissances à l’occasion du 14 juillet, la fête nationale. Ainsi naquit le Tiurai, qui signifie simplement juillet, déformation du mot anglais july. La danse n’y fait pas encore une arrivée en fanfare ; en revanche, trente groupes de chants sont inscrits au programme de cette manifestation, qui s’ancre très rapidement dans le calendrier des Polynésiens. 

 

Le fait que ces festivités coïncident avec l’hiver austral et donc de moindres activités agricoles contribue fortement à sa pérennisation. Bientôt, les artistes de tous les districts n’aspirent qu’à rivaliser de talent pour briller au Tiurai du gouverneur. Au fil de l’eau et des années, d’autres disciplines viennent s’associer à la fête, à commencer par les courses de pirogue, les jeux de hasard auxquels on s’adonne dans des baraques dédiées et les danses traditionnelles, qui font un retour d’abord timide… Car après des décennies de ce formatage, il était devenu totalement indécent même aux yeux des Polynésiens « de bonnes familles » de s’y adonner…

 

Naissance d’une icône 

 

C’est Madeleine Moua, affectueusement surnommée Mamie, qui orchestrera une véritable révolution pour rendre dans les années 1950 au ‘ori tahiti sa grandeur ; une révolution à laquelle elle a même donné son nom, après plus d’un siècle d’éclipse totale ou partielle des danses traditionnelles. Dotée d’une détermination hors norme, cette femme de caractère, institutrice de profession, a impulsé un mouvement devenu un héritage infiniment précieux.


Portée par un amour irrépressible pour ces danses qu’elle associait à la liberté et par la volonté de renouer avec les façons anciennes de danser, elle créera sa propre troupe baptisée Heiva, intégralement constituée de jeunes femmes de bonnes familles justement, très belles et à la moralité irréprochable… Une troupe qui fit sensation dès le Tiurai de 1956 et signa la renaissance de la vahine tahiti. En parallèle, elle s’attellera aussi à rassembler les savoirs subsistants afin de codifier autant que possible, en se fondant sur les anciennes traces, le ‘ori tahiti. Ce pharamineux travail servira aussi de socle à la naissance des écoles de danse. Madeleine fera danser tous ceux qui deviendront les plus fameux chefs de troupe des années 1980. Le Tiurai ne tardera plus alors à devenir le Heiva, nourri par le souffle transmis à ses héritiers, et ne ralentira plus jamais sa montée en puissance…

Image de Virginie Gillet

Virginie Gillet

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